L'origine et l'évolution des critères de Bastien et Scapin - Interview avec Christian Bastien

Aujourd’hui, nous vous présentons Christian Bastien, professeur et chercheur bien connu pour être le "Bastien" des critères ergonomiques de Bastien et Scapin. Dans cette interview, Christian nous rappelle l’importance de la validation scientifique des critères en fonction des théories du fonctionnement humain, ainsi que du besoin d'adapter les critères aux nouvelles technologies. Il revient aussi sur le fait que les grilles de critères sont complémentaires entre elles et avec d’autres méthodes d'évaluation. Merci Christian!

Dans cette série de billets, nous interviewons des professionnels à propos de l'importance de faire des évaluations d'utilisabilité, des audits ergonomiques et des évaluations expertes.

Transcription de l'interview

Quelle est l’origine des critères ergonomiques Bastien et Scapin ?

Les critères ergonomiques, c’est d’abord Dominique Scapin qui est à l’origine des critères. J’ai commencé par un stage de master à l’époque et j’ai enchainé en thèse et ensuite l’objectif était vraiment de valider les critères ergonomiques pour la conception d’évaluation, donc les critères étaient basés sur une base de données de plus de 800 recommandations qui avaient été plus ou moins organisées à l’aide d’une technique de tri de cartes tout simplement et une fois que les participants avaient classés des recommandations, on a étiqueté les paquets de recommandations avec des critères. L’idée c’était de valider la liste des critères dans les études d’identification des problèmes d’interface avec des experts, donc des ergonomes expérimentés et ça c’était fait à la fin des années 80, début des années 90. C’est vraiment l’époque où on a vu apparaître aussi les heuristiques de Nielsen, c’est vraiment une époque où les gens qui faisaient l’IHM, donc de l’IHM grand public. Les développeurs, c’est à dire les informaticiens, disaient “on fait des choses, il y a des choses qui ne marchent pas du point de vue utilisateurs. Nous, on ne sait pas trop faire alors dites nous, vous « les ergonomes », comment on peut le faire”. Donc ça a été vraiment la période où on a essayé de traduire les résultats d'études expérimentales, sous formes de recommandations utilisables en conception. Donc je disais à la fin des années 80 début des années 90 ça a été aussi en parallèle il y a eu la période aussi de normalisation ISO donc avec des gens comme Nigel Bevan très impliqués à l’époque. Nielsen qui travaillait de son côté et nous avions aussi commencé à travailler sur ces aspects là . Donc ça correspondait vraiment à une période où les gens de la communauté IHM était en demande de connaissance transposable, directement utilisable pour la conception et l’évaluation finalement.

Quels impacts vos critères ont-ils eus sur le domaine ?

Ça c’est un peu le contexte dans lesquels sont nés les critères ergonomiques et puis, ensuite, l’idée de faire des synthèses régulières sur certains aspects de l’ergonomie et système interactif, ça a donné lieu par la suite à tout un ensemble d’autre jeux de critères. Il y a eu par exemple les travaux de Cédric Bach avec Dominique Scapin et Eric Brangier dans les environnements virtuels. Ensuite il y a eu Brangier du côté des interfaces persuasives et puis, par ailleurs, on a eu aussi toutes les grilles d’évaluation sous format de questionnaires sur tout ce qui concerne l’expérience utilisateur. Et je pense que ce qui a fait la spécificité des critères et de ce qui a suivi ensuite dans cette démarche là, ça été les fondement scientifiques des critères comme des autres dimensions ou des autres normes. Je mets ça entre parenthèse parce qu’on a vu aussi apparaître des listes de critères des choses que les gens conservaient comme étant importantes. Mais je pense qu’il y a quand même un aspect qui est important dans cette démarche là c’est la validation scientifique. À la fois pour ce qui est des liens avec la recherche expérimentale mais aussi pour ce qui est de la validation des recommandations qu’on peut donner ensuite à utiliser.

Avec les nouvelles technologies telles que le mobile, vos critères sont-ils toujours à jour ?

Si on prend les critères il y a un travail que l’on n’a pas fait mais qui faisait partie des choses qu’on aurait aimé faire par la suite, mais à la fois Dominique et moi, avons été pris par d’autres choses, c’était simplement de lier des critères à des aspects plus théoriques sur le fonctionnement humain. C’est marrant parce que je ne sais pas si tu connais l’ouvrage Designing with the Mind in Mind c’est un ouvrage assez intéressant parce qu’il aborde l'aspect conception, mais du point de vue de la théorie du fonctionnement humain. Autrement dit, ils vont partir de certaines théories et voir comment ça s’applique à la conception d’interface, que ce soit en perception modélisation ou autre. Et finalement quand on regardait les recommandations du livre il y a une espèce de croisement avec les critères ergonomiques. C’est-à-dire dire que les critères sont un niveau au-dessus des recommandations individuelles, qui sont, elles issues des études expérimentales. Donc il y a un niveau d’abstraction un peu plus élevé il aurait fallu peu de choses pour qu’on puisse rattacher tout l’ensemble des recommandations aux aspects théoriques du fonctionnement humain, ça on ne l’a pas fait. Et quand on regarde finalement les autres grilles qui peuvent exister que ce soit pour les appliquer à des applications mobiles ou autre on peut dire que les principes sous-jacents sont toujours les mêmes. La mémorisation, les mécanismes de mémorisation vont toujours être présents dans l’interaction. Quand on va dire aux gens faut pas solliciter la mémorisation, ce n’est pas nécessaire, on n’a pas besoin demander aux gens de se rappeler des choses pour fonctionner quels que soient les types de dispositif interactif. La recommandation sera toujours adéquate, pertinente, par contre il y a toujours des technologies pour lesquelles on aura besoin d’affiner les recommandations ou voir comment elles s’implémentent avec les nouvelles technologies. C’est pour ça que la recherche doit continuer et elle doit continuer à alimenter les recommandations élémentaires qu’on peut trouver sous les critères ergonomiques. Quand on pense au contexte actuel, les critères sont toujours “up to date” mais par contre la façon de les instancier avec les nouvelles technologies là il y a peu être moyen, ou en tout cas besoin, de fouiller un peu plus.

Est-il possible d’utiliser plusieurs critères dans une même évaluation ?

Parfois on pose la question de savoir si on peut utiliser plusieurs, enfin plusieurs critères. Moi j’ai envie de dire oui, bien sûr, si on peut utiliser les critères ergonomiques pour s’intéresser plutôt à l’utilisabilité des interfaces quand on fait de l’inspection. On peut aussi faire de l’inspection pour savoir si une application ou un site web possède des caractéristiques de ce qu’on appelle les technologies persuasives. Donc je pense qu'en fonction du regard qu’on veut avoir sur l’interface, on peut effectivement utiliser différentes grilles pour l’inspection. Donc je pense qu’elles peuvent être complémentaires.

De qu’elle façon l’évaluation ergonomique est-elle complémentaire avec les tests utilisateurs ?

Quand on parle d’inspection ergonomique, l’idée c’est faire de l’inspection de l’interface avec des grilles de lecture spécifiques et l’objectif c’est d’identifier des non conformités à des recommandations. Evidemment chaque non-conformité ne va pas forcément poser problème du point de vue de l’utilisateur, c'est pour ça aussi qu’on peut décider qu’un défaut identifié par rapport à des recommandations ou des préconisations ou des normes ou un guide de style ça peut être plus ou moins grave. Ça peut être un défaut qui est anodin, ça peut être par contre un défaut qui est important. Quand on fait de l’inspection ce qu’on cherche à identifier ce sont les non conformités. Quand on fait du test utilisateurs ce qu’on cherche à identifier c’est les problèmes d’interaction. C’est à mon avis un sous ensemble de ce que l’on peut identifier avec des critères. C’est comme si on avait deux ensembles et on veut identifier des non conformités par rapport des recommandations, des normes ou des guide de style parmi celles-là il y a des non conformités qui vont poser éventuellement un problème aux utilisateurs mais il est possible aussi qu’on identifie des problèmes d’interactions qui ne soient pas liés à des problèmes de conformités ou pas de l’interface. Donc ça veut dire que c'est vraiment deux ensembles de défauts qu’on va découvrir avec une intersection qui peut être plus ou moins importante mais la qualité ergonomique d’une interface c’est le fait de pouvoir régler tout ça. Ce n’est pas parce qu’on a réglé les problèmes d’interaction qu’on a pour autant une interface qui est de bonne qualité ergonomique. Et non plus c’est pas parce qu’on a une interface qui ne présente pas de défauts en termes de préconisations qu’on a pour autant une interface qui ne pose pas des problèmes d’interaction. Donc autrement dit la qualité ergonomique d’une interface pour moi c’est la combinaison du fait d’avoir résolu des défauts de conception et des problèmes d’interactions.

Merci Christian !

Merci à Corinne Leulier pour la relecture et l'amélioration de la transcription

Prêt à simplifier votre processus d’évaluation d’interface?

Essayez Capian gratuitement